Au Togo, dans ce mois de décembre finissant, comme un relais de brasier, les marchés se transforment en fournaises et passent le témoin l’un à l’autre. Avec leur cortège de pleurs et de désolations. Marché d’Agoè de Lomé, marché de Kara et … le marché de Dapaong sont devenus en quelques jours volatiles. Du Sud au Nord, un feu dévorant se propage par endroit, consume les étals des revendeurs et laisse ces derniers dans un désarroi total. Une enquête est ouverte pour connaître l’origine des incendies. Mais il sied d’abord de situer la responsabilité des autorités dans cette sinistre situation qui n’est pas à sa première.
L’incendie du marché de Dapaong est à prendre avec des pincettes. Celui de Kara est intervenu dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 décembre dernier. La boutique Elino, située sur l’ancien marché de la ville est partie en fumée. Des dégâts importants sont enregistrés. On ignore l’origine du feu. Tout comme on ne sait pas d’où est parti l’incendie du marché d’Agoè-Assiyéyé à Lomé. C’est le premier centre commercial ravagé par les flammes dans cette période festive de fin d’année. Le brasier s’est déclaré le 21 décembre et s’est rapidement propagé et endommagé des commerces estimés à 3000.
Dans la foulée des cris de pleurs et de contestation, le gouvernement a essayé de jouer à l’apaisement des cœurs. Après la visite des autorités sur le lieu du sinistre, Faure Gnassingbé a rencontré les victimes de l’incendie. Selon republicoftogo.com, dans sa livraison du 23 décembre, « Le chef de l’Etat a ainsi tenu à exprimer sa solidarité et celle de toute la nation aux victimes de ce sinistre qui intervient à une période de forte activité commerciale, à la veille des fêtes de fin d’année ». Le journal semble insister plus l’absence de morts et de blessés que les économies parties en fumée. Puisqu’à deux reprises, le média proche du pouvoir écrit, « L’incendie n’a fait ni morts, ni blessés ».
Alors que d’après les estimations, l’incendie a consumé des milliers de commerces. Il faudra aux commerçants du temps pour se reconstruire économiquement et surtout psychologiquement. Il est donc malséant de vouloir essayer de minimiser le drame en insistant sur l’absence de morts et de blessés. Toujours dans la démarche d’assistance aux sinistrés, des instructions seraient données aux Systèmes financiers décentralisés (SFD), bailleurs de fonds des revendeurs. Ils seraient sollicités dans l’accompagnement des victimes.
Des solutions qui sont à saluer. Mais elles n’occultent pas le « mauvais » coup médiatique derrière. En effet, au lendemain du drame d’Agoè-Assiyéyé, on a voulu surfer sur la résilience des femmes par un slogan « femmes battantes », un cynisme qui ne dit pas son nom. En réalité, c’est un brouillard pour tenter de masquer l’échec des autorités communales et surtout gouvernementales.
10 ans de laxisme
« Les dégâts sont énormes (…) Nous estimons qu’il faut un meilleur aménagement de nos marchés avec les secours incendies. Car les sapeurs-pompiers ont rencontré d’énormes difficultés pour éteindre le feu », a déclaré David Ourna Gnanta, conseiller au cabinet du maire de la commune Agoè-Nyivé 1. C’est un aveu d’échec de ce membre de la municipalité. En effet, ce n’est pas la première fois qu’un feu d’une rare faim, dévore goulûment un marché entier au Togo. En 2013, un incendie a ravagé deux marchés du pays. Celui de la capitale et celui de Kara (environ 460 Km de Lomé). Les sapeurs-pompiers avaient toutes les peines pour circonscrire le feu et l’éteindre. Les deux centres commerciaux, comme des orphelins, étaient partis en fumée devant l’impuissance des pompiers. Ces derniers, à chaque sollicitation, sont décriés. Alors qu’ils n’y sont pour rien. Ils ne font que ce qui est en leur possession. Comme quoi, la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a, nous enseigne l’adage populaire.
Après ces deux incendies d’autres ont suivi à travers les années. L’incendie du marché de Kara intervenu en 2022, la vague d’incendie qu’a subi récemment le marché de Hanoukopé de Lomé dans la commune Golfe 4. Elle n’a pas suscité beaucoup d’émoi comme celui d’Agoè-Assiyéyé. La faute peut-être au maire de Golfe 4 qui est de l’opposition. On comprend aisément qu’au Togo, les douleurs sont à géométrie variable. Selon que vous soyez de l’opposition ou du pouvoir, les marques de compassion et de sympathie divergent. Passons.
A la suite de ces deux grands sinistres qu’a connus le pays en 2013, l’on croyait le pire derrière les commerçants. 10 ans après, rebelote. Le drame est intervenu dans le même timing presque. Sauf que le brasier s’est quelque peu délocalisé. Des incendies de trop et qui posent le problème d’anticipation sur des évènements malheureux. En effet, les autorités n’ont pas vraiment tiré leçon des incendies de 2013 en dotant les marchés des casernes de sapeurs-pompiers. Depuis toujours, Lomé dispose d’une seule caserne ! Et pourtant, tous les jours, les pompiers doivent jouer des coudes à travers la ville pour aller porter secours aux sinistrés. Gouverner, c’est prévoir. Cette note basique semble échapper aux gouvernants très abonnés aux folklores.
Le feu est imprévisible. Face à cela, il faut se préparer à ses scenarios même les plus catastrophiques. Dans les pays développés, beaucoup de films sont réalisés afin d’anticiper sur des cas d’incendie et de secours. Ces Etats se préparent ainsi à des évènements malheureux. Tout le contraire dans certains pays du Sud où la bouche du citoyen est bridée pour ne pas exercer son rôle du contrôle de l’action publique. Au Togo, les taxes collectées dans les marchés suffiraient à doter les centres commerciaux de casernes de pompiers. Car ce sont des lieux de forte concentration humaine. Tout peut arriver à n’importe quel moment à cause de la vétusté des infrastructures et de la forte importance du secteur informel. Les autorités doivent être dans l’anticipation à l’égard de ces zones à risque.
Faire du médecin après la mort, c’est du dépassé. Il faut être dans l’anticipation. Surtout quand on se pose en pompier lorsque la case du voisin brûle dans la sous-région. Il faut être capable de protéger sa propre maison contre les incendies. A bon entendeur.
Benoît EKLOU